INDONÉSIE - L’Indonésie au XXe siècle

INDONÉSIE - L’Indonésie au XXe siècle
INDONÉSIE - L’Indonésie au XXe siècle

Au début du siècle, les Hollandais ont réussi à imposer leur souveraineté sur tout l’archipel indonésien, unifié pour la première fois sous une même administration qui préfigure le cadre de la future Indonésie. Si la «politique éthique», qui propose de prendre en compte les intérêts de la population indigène, a permis certaines réformes, elle ne résout pas les problèmes sociaux. Exploitée, grevée d’impôts, livrée aux usuriers, la population, paysanne à 90 p. 100, réagit par des révoltes isolées de type messianique (mouvement Samin à Java). Peu à peu, pourtant, un mouvement nationaliste moderne, mais divisé, va se structurer. Non sans mal, car l’autorité coloniale surveille, arrête et exile ceux qui la contestent.

1. Le mouvement nationaliste (1908-1941)

C’est une période d’intense fermentation politique: la victoire du Japon sur la Russie (1905), les Jeunes Turcs, le mouvement révolutionnaire chinois (1911) et, un peu plus tard, la révolution russe ouvrent de nouvelles perspectives. Diverses organisations se constituent dans les Indes néerlandaises contre l’oppression coloniale: le premier syndicat (cheminots), puis le Budi Utomo (1908), association d’étudiants javanais issus de la petite aristocratie, qui se fixe des objectifs éducatifs et sociaux «pour libérer le peuple de la nuit de l’ignorance»; plus radical, l’Indische Partij (1912) de l’Eurasien Douwes Dekker et des Javanais Tjipto Mangunkusumo et Ki Hadjar Dewantoro, exilés l’année suivante, revendique les Indes pour tous leurs habitants, sans distinction de race ou de religion, dépassant ainsi pour la première fois les limites communalistes; le Sarekat Islam (Union musulmane, 1912), d’abord créé pour défendre les fabricants de batik contre leurs concurrents chinois, devient, sous l’impulsion de Tjokroaminoto, la première organisation nationaliste de masse. Il connaît un essor rapide dans les campagnes (1912: 4 500 membres; 1916: 360 000). À la même époque, le renouveau de l’Islam se marque aussi par la création de la Muhammadijah, association moderniste à buts sociaux et religieux, influencée par le courant réformiste venu d’Égypte.

C’est au sein du Sarekat Islam que vont se développer dans un premier temps les idées socialistes introduites par quelques Hollandais (H. Sneevliet). Au fil de ses congrès, le S.I. se radicalise, au point de condamner le «coupable» capitalisme étranger (1916), et réclame des réformes sociales. Des tensions de plus en plus graves opposent les nationalistes modérés à une aile gauche marxisante, prônant la lutte des classes et l’internationalisme et s’efforçant de capturer la direction du mouvement en s’appuyant notamment sur les syndicats. Une scission intervient avec la formation, en 1920, de ce qui deviendra le premier parti communiste d’Asie, le P.K.I. La rupture entre musulmans et communistes, irrémédiable en 1921, affaiblit le mouvement nationaliste.

Tandis que le S.I. marque un repli, le P.K.I. se montre très actif, encourage les grèves, étend son influence dans les campagnes. Ses dirigeants sont arrêtés les uns après les autres. Lorsqu’il lance, de manière aventurée et contre l’avis du Komintern, une insurrection révolutionnaire à Java et à Sumatra (1926-1927), la répression est immédiate: le parti est interdit, ses dirigeants exilés dans des camps.

Cependant, l’effort – quoique bien limité – entrepris du côté hollandais dans le domaine de l’enseignement, ajouté aux initiatives privées indonésiennes voulant pallier la discrimination raciale (écoles Taman Siswa et de la Muhammadijah), a permis à un plus grand nombre d’Indonésiens de recevoir une éducation plus poussée et d’avoir accès aux idées venues d’Occident. Quelques-uns parviennent à aller étudier aux Pays-Bas, ont des contacts avec la gauche hollandaise et approfondissent la critique du système colonial. Leur association Perhimpunan Indonesia, la première à utiliser le nom d’Indonésie, est une pépinière de futurs dirigeants. Aux Indes, où la jeunesse de Java et des autres îles commence à se mobiliser, des «clubs de réflexion» s’organisent sous leur impulsion. Celui de Bandung révèle un jeune ingénieur, Sukarno, qui, grâce à son extraordinaire pouvoir oratoire, entreprend de mobiliser les masses sur des mots d’ordre nationalistes laïques. Réalisant la synthèse des valeurs traditionnelles et des idées modernes, il s’efforce de rétablir l’unité du mouvement nationaliste au-delà de l’Islam et du marxisme qu’il revendique également. Son souci de l’unité nationale lui fait toutefois rejeter la lutte des classes. Le Parti national (P.N.I.), qu’il fonde en 1927, refuse la coopération, réclame l’indépendance immédiate et la démocratie sociale. Il devient à son tour le fer de lance du mouvement nationaliste. L’idée d’une Indonésie unie et indépendante a fait son chemin: «Une patrie, une nation, une langue», proclame le «serment de la jeunesse» en octobre 1928. La réaction ne tarde pas: Sukarno est arrêté une première fois (1929), occasion pour lui de prononcer devant ses juges un réquisitoire anticolonialiste passionné: «L’Indonésie accuse !», puis une deuxième fois alors qu’il dirige le Partindo, héritier du P.N.I. dissous. Son exil à Florès montre la fragilité de son mouvement qui n’a pas réussi à mobiliser les masses populaires de façon durable. Mais la tendance rivale ne réussit pas mieux: Mohammed Hatta et Sjahrir, rentrés des Pays-Bas, avaient entrepris de constituer un parti de cadres plus valable à leurs yeux que l’action de masse, ils sont eux aussi internés (1934).

Entre-temps, la crise de 1929 a frappé de plein fouet les Indes néerlandaises, productrices de matières premières (sucre, coprah, caoutchouc, huile de palme, café, thé, étain, pétrole) et dépendant étroitement des cours mondiaux qui s’effondrent. Le chômage, la misère sévissent. La nécessité d’éviter des troubles justifie une répression préventive accrue. Après ce coup d’arrêt, les revendications vont prendre un tour plus institutionnel. En 1918 avait été constitué un Volksraad, conseil consultatif à trois collèges où les députés indonésiens étaient une minorité. Certains avaient espéré, mais en vain, qu’il jouerait peu à peu le rôle d’un parlement. C’est pourtant le lieu où s’expriment certaines demandes nationalistes. En 1936, une pétition assez modérée y est présentée qui réclame pour les Indes le self-government à l’intérieur d’une communauté hollandaise. La métropole refuse d’entendre. Cependant, tandis que les partis plus conservateurs forment le Parindra (1935), la montée des fascismes suscite un regroupement des forces de gauche, le Gerindo (1937), qui se veut antifasciste avant d’être anticolonial. La revendication pour des réformes politiques prend un nouvel élan. En 1939, le G.A.P.I., Groupement nationaliste antifasciste, auquel s’associeront conditionnellement les formations musulmanes (la Muhammadijah et le Nahdatul Ulama représentant depuis 1926 l’islam orthodoxe, regroupés depuis 1937 au sein du M.I.A.I., Conseil des musulmans d’Indonésie), réclame pour l’Indonésie le droit de se gouverner elle-même et un parlement représentatif. Alors que le pouvoir colonial joue la décentralisation et encourage la division régionale, le G.A.P.I. fait adopter à un congrès du peuple indonésien (1939) des symboles unitaires: la langue indonésienne, le drapeau rouge et blanc et l’hymne national, et, un peu plus tard (1941), il crée un Conseil du peuple indonésien, ébauche de l’assemblée représentative tant demandée. Mais les espoirs des nationalistes seront déçus une nouvelle fois: le gouvernement hollandais réfugié à Londres après l’invasion allemande est moins prêt que jamais à considérer des réformes politiques et remet à l’après-guerre tout examen d’une modification des rapports avec sa colonie.

2. L’occupation japonaise (1942-1945) et la proclamation de l’indépendance (17 août 1945)

Décembre 1941: début de la guerre du Pacifique. Avec les Alliés, les Pays-Bas déclarent la guerre au Japon. Celui-ci, déjà lancé à la conquête des possessions occidentales en Asie, et qui a repéré de longue date les richesses des Indes néerlandaises, va s’en rendre maître très rapidement. Février 1942: les Japonais débarquent à Java. Le 8 mars, les Hollandais, qui ont refusé d’armer des milices indonésiennes pour défendre l’île, capitulent sans condition. L’écroulement de ce pouvoir tricentenaire, qui se refusait à tout partage depuis quelque trente ans, va avoir un impact profond sur la société indonésienne.

Les Japonais sont d’abord accueillis en libérateurs. La désillusion est rapide devant leur brutalité et leur arrogance: l’archipel n’a fait que changer de maîtres. Placé sous administration militaire, il est divisé en trois: Sumatra, l’île riche, est rattachée à la XXVe armée avec Singapour et la Malaisie, Java à la XVIe armée, Bornéo et le Grand-Est à la marine. Toute activité politique est interdite. L’objectif des Japonais est clair: mobiliser toutes les ressources économiques et humaines de l’archipel pour soutenir leur effort de guerre. Les cultures d’exportation sont modifiées dans ce sens. Des centaines de milliers de travailleurs obligatoires, les romushas , sont réquisitionnés, parfois envoyés sur d’autres fronts (Birmanie), où beaucoup trouveront la mort.

Pour obtenir cela, les nouveaux occupants ont besoin d’intermédiaires capables de se faire écouter. Ils vont miser tour à tour sur les musulmans et les nationalistes. Pour se concilier les premiers, ils créent un office des Affaires religieuses. Puis ils se tournent vers les dirigeants nationalistes qu’ils ont fait libérer. Sukarno et Hatta, qui se voient confier des postes de responsabilité, n’ont pas d’autre choix que d’accepter cette collaboration forcée. Sukarno y voit surtout le moyen d’obtenir des avantages permettant à l’Indonésie de progresser vers l’indépendance. Autour de Sjahrir, resté à l’écart, s’organisent des réseaux de résistance clandestins dont l’activité est surtout de faire circuler l’information et de préparer l’après-guerre. D’autres, jugés plus dangereux, tel Amir Sjarifuddin, sont arrêtés et torturés.

En mars 1943 est organisé à Java un mouvement de masse, le Putera (Centre des forces du peuple), avec à sa tête Sukarno, Hatta, Ki Hadjar Dewantoro, le chef de la Muhammadijah, et des conseillers japonais. Sukarno va utiliser les moyens inespérés mis à sa disposition (tournées en province, radio) pour diffuser dans tous les villages, sous le couvert de la propagande japonaise, les idéaux nationalistes. Il est entendu, le contact avec les masses est rétabli. Les Japonais acceptent aussi de former un corps militaire, la Peta (Volontaires défenseurs de la patrie, octobre 1943), avec des officiers indonésiens. Ce sera le noyau de la future armée indonésienne. Très vite, pourtant, ils se défient du Putera qu’ils n’arrivent pas à contrôler et qui est dissous en décembre 1943. Ils regroupent alors les musulmans au sein d’une organisation commune, le Masjumi (Conseil des associations musulmanes d’Indonésie, novembre 1943), puis constituent un nouveau mouvement de masse, Djawa Hokokai (mai 1944), encore présidé par Sukarno, mais contrôlé cette fois par les Japonais qui, pour neutraliser les nationalistes, s’appuient sur les prijaji , l’aristocratie javanaise, où s’est toujours recrutée l’administration coloniale.

Tandis que la défaite japonaise commence à se profiler derrière l’avance américaine, T 拏ky 拏, qui jusque-là avait pensé annexer la colonie hollandaise, promet l’indépendance aux Indonésiens (septembre 1944). L’objectif si longtemps poursuivi paraît soudain à portée de la main, mais il faut encore des mois d’attente et un soulèvement de la Peta (février 1945), qui marque l’impatience nationaliste et la montée des sentiments antijaponais dans une population durement éprouvée, pour que soit enfin réuni un «comité d’étude pour la préparation de l’indépendance». Celui-ci se met assez vite d’accord sur le principe d’un État républicain et unitaire. Mais, lorsqu’il s’agit de définir la «philosophie» de ce futur État, la place qu’y aura l’Islam devient un sujet de discorde. Sukarno parvient à rétablir l’unanimité en faisant adopter le 1er juin 1945 les Pantja Sila, ou «cinq principes»: nationalisme, internationalisme, démocratie, justice sociale et croyance en Dieu, qu’il résume par le concept de gotong royong ou «entraide mutuelle», valeur traditionnelle du village indonésien. C’est en fait un dénominateur commun, reprenant des thèmes nationalistes d’avant guerre et permettant de surmonter le problème religieux en tenant compte des minorités non musulmanes (catholiques, protestants, hindouistes) et surtout des sentiments des abangan , c’est-à-dire des musulmans, qui certes se réclament de l’islam, mais restent fortement influencés par des valeurs antérieures à l’islam (hindouisme, animisme) – comme Sukarno – et ne se reconnaîtraient pas dans un État islamique.

Tandis que l’on prépare la future constitution (de type présidentiel, à pouvoir centralisé, où l’on peut déceler l’influence du modèle hollandais, et peut-être japonais), le conflit renaît entre musulmans et nationalistes. Le texte de la charte de Djakarta (22 juin), qui devait être le préambule de la constitution et faisait une mention spéciale de l’islam, paraît trop peu aux premiers et déjà trop aux seconds. La rupture est évitée de justesse. Mais tout se précipite. Au début d’août, la bombe éclate à Hiroshima. À Djakarta (ancienne Batavia), on constitue le Comité de préparation de l’indépendance, où sont représentées les diverses régions de l’archipel. L’indépendance est prévue pour le 24 août. Le 15, le Japon capitule. À Java, l’impatience de la nouvelle génération nationaliste, les pemuda (jeunes), qui rongent leur frein depuis des mois, voulant conquérir et non pas marchander l’indépendance de leur pays, atteint son comble: ils enlèvent Sukarno et Hatta. Les deux dirigeants se laissent convaincre et, le 17 août, proclament l’indépendance de la république d’Indonésie. Le président en est Sukarno, le vice-président, Hatta. Duumvirat qui symbolise l’une des dualités profondes de l’Indonésie: Sukarno, à la fois javanais et balinais, représente la tendance nationaliste, populiste et socialisante, et une tradition venue des royaumes rizicoles abangan de l’intérieur de Java; le Sumatranais Hatta représente davantage l’islam des côtes, le monde des commerçants et des plantations, soumis aux influences extérieures.

3. La lutte pour l’indépendance (1945-1949)

Le nouveau régime n’a que quelques semaines pour assurer son pouvoir avant l’arrivée des Alliés (septembre 1945). La tâche n’est pas simple: des mouvements de révolution sociale éclatent dans certaines régions de Java et de Sumatra contre les autorités traditionnelles. Des heurts se produisent avec les Japonais, chargés de maintenir l’ordre. La Constitution du nouvel État est adoptée le 18 août, sans référence à l’islam. En attendant des élections, un Comité national central indonésien (K.N.I.P.) est désigné avec des représentants de différents groupes politiques et ethniques. On commence à mettre sur pied un parti unique, idée chère à Sukarno.

Mais des voix s’élèvent pour dénoncer la persistance de l’influence japonaise. Sjahrir réclame l’élimination des «collaborateurs», nombreux au gouvernement. Reconnaissant pourtant la réelle popularité de Sukarno, il accepte de coopérer avec lui et de diriger un nouveau gouvernement. Pour les discussions à venir avec les Alliés, Sjahrir, connu pour ses convictions démocratiques et pour son rôle pendant l’occupation, est plus acceptable que Sukarno, qui va provisoirement passer à l’arrière-plan. Il s’agit de montrer que la République n’est pas une création fantoche des Japonais comme le prétendent les Hollandais. Le régime va être «démocratisé»: tandis que le K.N.I.P. est transformé en parlement, un système multiparti est mis en place rapidement. On voit resurgir des sigles connus dont le contenu a parfois changé: le P.N.I., qui n’est plus le parti de Sukarno, bien qu’il continue de s’en réclamer, et qui recrute parmi les fonctionnaires; le Masjumi, qui regroupe les musulmans réformistes et traditionalistes; le P.K.I.; le P.S.I., Parti socialiste de Sjahrir et Amir Sjarifuddin; le Parti chrétien; le Parti catholique...

Simultanément se constitue ce qui deviendra l’armée indonésienne (octobre 1945), avec des membres de la Peta ou d’autres groupes formés par les Japonais et des officiers de l’ancienne armée coloniale. C’est un temps où la limite entre le militaire et la politique n’est pas claire: dès le début, l’armée estime avoir des responsabilités politiques, ce qui pose le problème de ses relations avec le gouvernement. Elle entend choisir son commandant en chef (Sudirman) et tente même de désigner le ministre de la Défense. Les groupements de jeunesse qui s’organisent, et qui sont proches de l’un ou l’autre parti, s’arment aussi. Les armes, on les arrache aux Japonais et on prend aussi les kris et épieux de bambou. Sur tous ces groupes, le contrôle central reste des plus limités.

Lorsque les Britanniques débarquent, pour libérer les Hollandais et désarmer les Japonais, ils se trouvent pris entre la volonté d’indépendance des Indonésiens et la volonté des Hollandais de récupérer leur colonie. Acceptant de considérer le gouvernement Sjahrir comme un interlocuteur valable, le gouvernement travailliste de Londres va pousser à des négociations hollando-indonésiennes, seul moyen pour lui de sortir d’une situation de jour en jour plus difficile. Commencées en novembre, les négociations seront longues et difficiles. L’exaltation révolutionnaire de la jeunesse indonésienne s’en accommode mal. Sjahrir doit affronter les nationalistes radicaux de Tan Malaka, regroupés dans l’Union pour la lutte (Persatuan Perdjuangan), qui adoptent des positions extrémistes de lutte à outrance opposées à toute négociation et trouvent un écho dans l’armée et la jeunesse. Une tentative de coup de force (juillet 1946) échoue pourtant et montre que le gouvernement reste maître de la situation. Il est vrai que les premières propositions du gouverneur général hollandais, Van Mook, ne tenaient pas compte de ce qui s’était passé depuis 1942. Une pression internationale (Inde, U.R.S.S., Australie, États-Unis) s’étant dessinée en faveur de l’Indonésie, les Hollandais, qui ont réoccupé Bornéo, Célèbes, les Moluques et les petites îles de la Sonde, où ils renforcent les dirigeants traditionnels qui leur sont favorables, proposent une solution fédérale où la République serait englobée comme un «État libre» parmi d’autres. Ils obtiennent à Malino (juillet 1946) le soutien de Bornéo et du Grand-Est à leur politique. La République, qui entend faire reconnaître sa souveraineté sur tout l’archipel, ne contrôle en fait que Java et Sumatra.

L’accord de Linggadjati (mars 1947) reconnaît son autorité de facto sur ces deux îles et prévoit que la République et les Pays-Bas coopéreront pour constituer les «États-Unis d’Indonésie», qui feront partie d’une Union hollando-indonésienne. Mais, tandis que les Britanniques se retirent, il apparaît vite que l’accord, remis en cause des deux côtés par la droite nationaliste, ne sera pas appliqué. Les Hollandais continuent d’organiser, unilatéralement, les États du Grand-Est et de Bornéo et suscitent un mouvement autonomiste à Java-Ouest. La tension monte. En juillet, les Hollandais lancent une foudroyante offensive militaire, baptisée «opération de police». Le territoire de la République, où affluent les réfugiés, est dangereusement réduit et soumis à un blocus économique.

La pression internationale porte la question indonésienne devant l’O.N.U. Après un cessez-le-feu, un second accord est signé à bord du navire américain Renville (janvier 1948). Entérinant le fait accompli et reprenant le principe des États-Unis d’Indonésie, il ne sera pas mieux appliqué que le premier.

Si le gouvernement Sjahrir est tombé après l’accord de Linggadjati, celui d’Amir Sjarifuddin tombe après celui du Renville et laisse la place à un gouvernement Hatta, qui s’appuie sur le Masjumi et le P.N.I., opposants du gouvernement précédent. Maintenant, c’est la gauche qui passe dans l’opposition. La désillusion, due au peu de succès des négociations, a suscité la montée de sentiments violemment anti-impérialistes. Les États-Unis, dont l’anticolonialisme avait soulevé de grands espoirs, ont déçu. Tandis que Sjahrir reste proche de Hatta, Amir Sjarifuddin réorganise les forces de gauche en Front démocratique populaire (F.D.R.), favorable à un rapprochement avec l’Union soviétique, et soutenu par le Pesindo (Jeunesses socialistes), la centrale syndicale S.O.B.S.I. et une partie de l’armée. Le P.K.I., réorganisé par Musso, rentré d’U.R.S.S. en août 1948, prend la tête du mouvement, suivant la ligne définie par le Kominform. Face à cette montée communiste, Hatta continue de miser sur l’appui des États-Unis. Ce conflit intérieur se résout lors de l’insurrection de Madiun (septembre 1948), où les communistes sont écrasés grâce à l’intervention de la division Siliwangi du colonel Nasution. Amir Sjarifuddin et Musso sont tués. L’«affaire de Madiun» reste à ce jour controversée: «Coup de poignard communiste dans le dos de la République en lutte», selon les anticommunistes, ou provocation permettant d’éliminer à un moment décisif un parti communiste en expansion?

Presque aussitôt, les Hollandais saisissent l’occasion de lancer une deuxième «opération de police» (décembre 1948), occupent cette fois jusqu’à la capitale de la République (Jogjakarta) et capturent Sukarno et son gouvernement. Mais cette victoire militaire marque la défaite politique. Une résistance armée s’organise à Java et à Sumatra, où un gouvernement d’urgence est constitué. L’opinion internationale s’émeut. L’O.N.U. réclame un cessez-le-feu et la libération du gouvernement républicain. Les États-Unis exercent une vive pression sur les Pays-Bas, allant jusqu’à mettre en balance l’aide Marshall. Les Pays-Bas cèdent, les négociations reprennent. Les accords de la Table Ronde (La Haye, novembre 1949) organisent le transfert de la souveraineté hollandaise aux États-Unis d’Indonésie (décembre 1949; seul le cas de l’Irian occidental reste à négocier). La république d’Indonésie est l’un des seize États qui les composent. Mais, en moins d’un an, les États constitués par les Hollandais en vue de maintenir leur influence dans l’archipel vont disparaître sous la pression nationaliste. À Java-Ouest, l’action à retardement du capitaine Westerling fait long feu. Aux Moluques, région christianisée où se recrutait l’armée coloniale, un mouvement autonomiste pro-Hollandais (république des Moluques du Sud) sera plus difficile à briser. En août 1950, les États-Unis d’Indonésie cèdent la place à la République unie d’Indonésie.

4. Essai de démocratie parlementaire «à l’occidentale» (1950-1957)

Le duumvirat Sukarno-Hatta est maintenu à la présidence et vice-présidence de la République. Une Constitution provisoire est adoptée (août 1950) en attendant l’élection d’une Constituante; elle instaure un système de type parlementaire pour lequel l’Indonésie est, de par son expérience historique, mal préparée; les pouvoirs du président y sont beaucoup plus limités que dans celle de 1945; le gouvernement est responsable devant le Parlement, provisoirement nommé. La vie politique est alors dominée par le jeu des partis, nombreux et souvent divisés plus sur des questions de personnes que d’idéologie. C’est une période d’instabilité: six gouvernements se succèdent en sept ans.

Constitutionnellement réduit à un rôle effacé, Sukarno ronge son frein, mais conserve son influence. Pour lui, la «révolution n’est pas finie», la démocratie sociale, politique et économique reste l’objectif à atteindre. Ses soucis sont toujours l’unité nationale que le nouveau système lui paraît mettre en péril, et la lutte anticolonialiste.

En revanche, pour les trois premiers gouvernements qui se succèdent au pouvoir (Mohammed Natsir, chef de la tendance des socialistes religieux du Masjumi, jusqu’en mars 1951; Sukiman, du Masjumi, jusqu’en février 1952, et Wilopo, de l’aile droite du P.N.I., jusqu’en juin 1953), la révolution a pris fin avec l’indépendance, il s’agit de mettre de l’ordre, dans l’armée, trop nombreuse et peu contrôlée, dans l’administration, d’organiser l’économie selon une ligne libérale et pragmatique. Ces gouvernements, dans la ligne amorcée par Hatta en 1948, sont des coalitions dominées par le Masjumi, le P.S.I. puis l’aile droite du P.N.I. Musulman, conservateur, le Masjumi représente les propriétaires terriens et une partie de la bourgeoisie (commerce, petite entreprise, plantations); il propose comme objectif un État musulman moderne. La sécession, en 1952, du Nahdatul Ulama l’affaiblit considérablement. Tandis que le Masjumi s’identifie aux îles extérieures à Java, le N.U. est surtout un parti javanais et rural; religieusement plus traditionnel que le Masjumi, le N.U. est politiquement plus au centre. Le P.S.I., Parti socialiste de Sjahrir, regroupe des intellectuels occidentalisés. Il exerce une grande influence sur le plan gouvernemental, mais a peu d’audience populaire. Bien que plus à gauche que le Masjumi, il estime comme lui souhaitable de maintenir à tout prix la stabilité monétaire et d’attirer les capitaux étrangers. Tous deux se méfient du courant nationaliste radical. Nationaliste et anticolonialiste, le P.N.I., Parti javanais, recrute en milieu abangan et priaji . Il est divisé en plusieurs factions. Celle de Wilopo peut s’entendre avec le Masjumi, mais, en général, le P.N.I. soutient les idéaux nationalistes et populistes de Sukarno: sa doctrine, le marhaenisme, reprise des années trente, entend défendre les «petites gens», le peuple, et rejette l’idée de la lutte des classes.

Ces premiers gouvernements mènent une politique conservatrice. La persistance de l’emprise hollandaise sur l’économie indonésienne n’est pas remise en cause. Les biens saisis pendant la «révolution» sont restitués. Les capitaux hollandais dominent encore les grandes plantations et le commerce d’exportation, la banque, le secteur pétrolier (avec des compagnies anglo-américaines: Shell, Standard Oil, Caltex) et les transports. Ces gouvernements enregistrent des succès, en partie grâce au boom résultant de la guerre de Corée (augmentation des productions et recettes d’exportation, mais aussi de la production de riz). Un gros effort est entrepris dans le domaine de l’éducation où tout est à faire pour créer un encadrement, négligé par l’autorité coloniale. La politique étrangère, plutôt pro-occidentale, est marquée par une malheureuse tentative d’accord de sécurité mutuelle avec les États-Unis (janvier 1952), qui recherchent des partenaires asiatiques. Une vive réaction nationaliste fait échouer ce projet, jugé contraire au neutralisme «libre et actif» professé par la République. À l’intérieur, les efforts pour réduire le mouvement musulman extrémiste du Dar ul Islam de Kartosuwirjo, menant une lutte armée pour imposer un État islamique, échouent. Le mouvement va s’étendre de Java-Ouest à Célèbes, puis à Atjéh, dans le nord de Sumatra. Les rapports avec l’armée posent aussi problème. Une politique de «rationalisation» vise à transformer ce corps de quelque 200 000 hommes, souvent plus riches de convictions révolutionnaires que de formation technique, en une armée de métier. Hostiles, les partis de gauche dénoncent le rôle de la mission militaire hollandaise, qui sera dissoute en 1953. Le conflit gagne le Parlement, qui réclame une commission d’enquête, ce qui suscite une tentative de putsch du commandement militaire (17 octobre 1952). Sukarno, sans se laisser intimider par les tanks, refuse de dissoudre le Parlement et de se lier à une armée trop proche du Masjumi et du P.S.I. L’«affaire du 17 octobre» coûte la direction de l’armée au colonel Nasution, l’obligeant à une retraite momentanée (1952-1955) et divise encore davantage le corps des officiers, permettant du même coup une plus grande influence civile dans les affaires militaires.

Après 1953, la mise à l’écart des forces conservatrices et l’arrivée au pouvoir des nationalistes de la tendance Sukarno s’expliquent par plusieurs facteurs: la coalition menée par le Masjumi n’a pas réussi à mobiliser à son profit les forces nées de la révolution, elle a laissé s’éroder son soutien politique, surtout avec les mesures d’austérité monétaire prises à la fin du boom dû à la guerre de Corée. La préparation des élections générales fait renaître la querelle entre Pantjasila et Islam. Les déclarations de Sukarno, la majorité rassemblée contre l’idée d’un État islamique favorisent la montée des forces nationalistes laïques, tandis que la scission Masjumi-N.U. a affaibli le camp musulman. Enfin, le Parti communiste (P.K.I.), qui, sous la direction énergique d’un nouveau secrétaire général, D. N. Aidit, formé pendant la révolution, est en train de se remettre des suites de Madiun (en dépit de la répression exercée par le cabinet Sukiman en 1951), élabore une nouvelle stratégie de soutien à la bourgeoisie nationale anti-impérialiste, c’est-à-dire au P.N.I. (et à Sukarno) par opposition au Masjumi et au P.S.I.

Le gouvernement Ali Sastroamidjojo (P.N.I.-N.U., juillet 1953-juillet 1955) illustre cette orientation. Au prix d’une moins grande rigueur monétaire, il soutient l’«indonésianisation» de secteurs économiques jusque-là dominés par les Hollandais et les hommes d’affaires de la minorité chinoise (importation, banque, transports maritimes, rizeries). Des trafics divers se développent, la corruption gagne, l’inflation augmente. En revanche, la politique étrangère devient un domaine privilégié. Elle se marque par un rapprochement avec le camp socialiste. Une ambassade est ouverte en U.R.S.S. Un traité est signé avec la Chine sur le statut des Chinois d’Indonésie (avril 1955). La Conférence afro-asiatique de Bandung (avril 1955), dont l’initiative revient au Premier ministre indonésien et qui réunit vingt-neuf États d’Asie et d’Afrique, symbolise de manière éclatante l’éveil du Tiers Monde. Réunissant des hommes prestigieux (Nehru, Zhou Enlai), elle classe d’emblée l’Indonésie parmi les dirigeants du mouvement. Par contre, les relations avec l’ancienne métropole se détériorent: l’Union hollando-indonésienne, restée largement théorique, va être abrogée et la dette répudiée unilatéralement (mai et août 1956), la revendication sur l’Irian occidental, relancée avec vigueur, est portée devant l’O.N.U., mais sans succès.

Après une longue et intensive campagne électorale qui ravive le clivage entre nationalistes laïques et musulmans, les premières élections ont lieu (septembre-décembre 1955) pour désigner le Parlement et la Constituante. Elles confirment la prédominance de quatre «grands»: le P.N.I. (22,3 p. 100 des voix); le Masjumi (20,9 p. 100); le N.U. (18,4 p. 100); le P.K.I. (16,4 p. 100). Le P.N.I., le N.U. et le P.K.I. sont essentiellement javanais (Java regroupe les deux tiers des 77 millions d’habitants que compte alors l’archipel). L’équilibre entre partis non musulmans et musulmans est contraire à ce qu’avait espéré le Masjumi qui, avec le P.S.I., sort perdant de ces élections. En revanche, la remontée spectaculaire du P.K.I., qui pratique un recrutement intensif et s’appuie sur ses nombreuses organisations de masse, dont la puissante centrale syndicale S.O.B.S.I., inquiète fortement les milieux conservateurs, d’autant qu’elle sera confirmée lors d’élections provinciales en 1957 (27,4 p. 100 des voix). Les élections avaient soulevé de grands espoirs: on va s’apercevoir qu’elles n’ont rien changé. Devant le manque d’autorité et d’efficacité d’un deuxième gouvernement Ali Sastroamidjojo, tandis que l’inflation et la corruption progressent, les critiques contre les partis se multiplient, le système se grippe, les interventions extra-institutionnelles vont se multiplier.

5. Crise du système politique (1957-1959)

Au retour de son voyage en U.R.S.S. et en Chine (novembre 1956), Sukarno, qui a vainement plaidé pour une participation du P.K.I. au gouvernement, propose d’«enterrer les partis» et vilipende la démocratie libérale. Hatta démissionne de la vice-présidence (décembre 1956). Des cas d’insubordination militaire se produisent (tentatives de putsch), tandis que dans les îles extérieures les commandants militaires organisent la contrebande à grande échelle. Le général Nasution est revenu à la tête de l’armée de terre, ayant compris que toute évolution du régime se fera avec et non pas contre Sukarno. Relançant la réorganisation de l’armée, il s’attaque au pouvoir des «commandants régionaux» (panglima ) et provoque des réactions violentes. Des rébellions militaires éclatent à Sumatra (novembre 1956), puis à Bornéo (Kalimantan) et à Célèbes. Les rebelles dénoncent les «politiciens» de Djakarta, l’hégémonie de Java, la surpeuplée, qui exploite la richesse des autres îles, le danger communiste. Ils réclament le retour de Hatta aux affaires. En 1958, ils forment à Sumatra, avec des dirigeants du Masjumi et du P.S.I., un gouvernement rival de celui de Djakarta (P.R.R.I.-Permesta). C’est la guerre civile. Des négociations ayant échoué, le général Nasution lance alors une répression armée et occupe rapidement les bases rebelles. La lutte prend fin en 1961.

Cette rébellion, soutenue par les Américains (Sukarno ne l’oubliera pas), a d’importantes conséquences. La loi martiale proclamée en mars 1957 donne soudain à l’armée d’importants pouvoirs; le fait qu’elle ait sauvegardé l’État renforce sa demande d’un rôle politique, tandis que l’élimination des chefs rebelles, rivaux de Nasution, confère à celui-ci une autorité sans précédent. Par ailleurs, en novembre 1957, la campagne pour l’Irian devient plus agressive. Les syndicats de gauche saisissent les biens des Hollandais qui sont expulsés. Aussitôt, l’armée en prend le contrôle et le conserve lorsque ces entreprises sont nationalisées. Elle entend bien profiter de ces nouveaux avantages politiques et économiques.

Entre-temps, Sukarno a ressaisi l’initiative. Il propose (février 1957) d’abandonner la démocratie «à l’occidentale» qui ne convient pas à l’identité indonésienne pour une «démocratie dirigée» qui referait l’unité nationale. Tous les partis seraient représentés au gouvernement et un conseil national regrouperait des représentants des «groupes fonctionnels», reflétant la société plus directement que les partis au Parlement. On en reviendrait aux valeurs traditionnelles de musjawarah (discussions) et de mufakat (consensus) au lieu du décompte des voix.

Si les partis regimbent, le général Nasution, lui aussi hostile aux partis, soutient l’évolution qui se dessine. Le gouvernement Djuanda (avril 1957), dit «de travail», n’est plus fondé sur les partis dont le rôle perd désormais de l’importance. Extra-constitutionnel, le Conseil national devient le lieu des discussions sur le nouveau système politique. Elles sont dominées par le rapprochement – d’ailleurs limité – de Sukarno et de Nasution qui souhaitent tous deux écarter le système des partis au profit d’un exécutif fort. Pour Nasution (qui poursuit, pacifiquement, la manœuvre de 1952), l’armée ne doit pas prendre le pouvoir par un coup d’État (comme le bruit en court), mais y participer, ne pas être la «grande muette»: c’est la «voie moyenne» définie en novembre 1958. L’idée des groupes fonctionnels est le moyen de donner à l’armée le rôle qu’elle demande, et, au-delà des divisions idéologiques et partisanes, de renforcer l’unité nationale selon le principe de la «grande famille» – vision corporatiste de l’État opposée à l’analyse marxiste. Sukarno envisage de former avec les groupes fonctionnels (ouvriers, paysans, entrepreneurs, forces armées, groupes religieux), et sans les partis, un front national.

L’armée reprend l’idée à son compte et constitue des «groupes de coopération civils-militaires» pour les jeunes, les ouvriers, les paysans, puis les rassemble dans un Front national de libération de l’Irian. Détournement inacceptable pour Sukarno dont les objectifs ultérieurs divergent de ceux de l’armée: il entend mobiliser l’élan révolutionnaire de la nation pour réaliser un «socialisme à l’indonésienne», et est prêt à enrôler, entre autres, les communistes et leur potentiel de mobilisation des masses. L’armée entend faire régner l’ordre et la stabilité et, pour elle, les communistes sont l’ennemi irréductible.

La Constitution s’enlisant dans un débat sans issue entre l’Islam et Pantjasila, le changement de régime se fait autoritairement: Nasution interdit toute activité politique, Sukarno dissout la Constituante et proclame le retour à la Constitution de 1945. C’est le début de la «démocratie dirigée».

6. La «démocratie dirigée» (1959-1965)

Issue du compromis entre Sukarno et Nasution, la démocratie dirigée est marquée par le retour à un système politique de type autoritaire, et sera de toute façon dominée (sauf un bref intermède en 1963) par l’état d’urgence. Les partis politiques y perdent définitivement le premier rôle au profit de l’exécutif. Il n’y a plus d’élections – surtout parce que les forces conservatrices redoutent les conséquences d’un succès communiste. On interdit aux hauts fonctionnaires d’être affiliés à un parti. À sa première manifestation d’indépendance, le Parlement élu est dissous (mars 1960) et, dans la nouvelle Assemblée, désignée par le président, les sièges ne vont plus seulement aux partis mais également aux «groupes fonctionnels» (dont les forces armées). L’existence des partis est soumise à une réglementation plus stricte, leur nombre ramené à dix. Opposants intransigeants, le Masjumi et le P.S.I. sont interdits pour avoir soutenu les rébellions régionales. Les libertés civiques diminuent à mesure que le président Sukarno, qui se veut le «porte-parole du peuple indonésien», définit dans ses retentissants discours l’idéologie du nouveau régime. Proclamant qu’il faut «retrouver le chemin et l’esprit de la révolution», s’entourant d’une équipe de personnalités sans parti, proches de lui – Subandrio aux Affaires étrangères, Muhammad Yamin, l’idéologue, au conseil du Plan –, Sukarno va tenter de susciter le grand élan populaire unitaire dont il a toujours rêvé et qui permettrait de réaliser le socialisme à l’indonésienne, la «société juste et prospère» qui restent l’objectif ultime – et cependant vague – associé à la lutte contre l’impérialisme. Le discours du 17 août 1959 devient le «Manifeste politique» (ou Manipol ) du régime, et une nouvelle orthodoxie révolutionnaire s’élabore à travers les sigles et les mots d’ordre tirés des discours présidentiels: «économie dirigée», contre l’«exploitation de l’homme par l’homme», «message des souffrances du peuple», «identité nationale»... Références désormais obligatoires pour qui ne veut pas être «contre-révolutionnaire», ils font l’objet d’une vaste campagne d’endoctrinement.

C’est pourtant à tort que le rôle dominant de Sukarno, devenu «grand leader de la révolution» et nommé président à vie, a évoqué en Occident l’image de la dictature. En réalité, plusieurs forces politiques s’expriment et s’affrontent de manière de plus en plus aiguë pendant ces quelque sept ans. La lutte opposant l’armée et les communistes domine la scène; entre eux, le président Sukarno prétend à la fois les maîtriser et les enrôler dans son projet. Mais l’évolution de la situation l’amène à s’appuyer de plus en plus sur le P.K.I. en s’opposant à l’armée avec qui son désaccord est fondamental. Sukarno n’a en effet pas de formation politique derrière lui: le P.N.I. n’est plus ce qu’il était et la scission de son aile gauche, en 1958, n’a pas donné naissance au vaste mouvement attendu. C’est le P.K.I. qui paraît le mieux à même de soutenir les idéaux révolutionnaires du président: bien organisé, dynamique, c’est le seul parti qui voit le nombre de ses membres, et celui de ses organisations (la puissante centrale ouvrière S.O.B.S.I.; le Front paysan, B.T.I., les Jeunesses populaires, Pemuda Rakyat, etc.) s’accroître régulièrement. Recrutant surtout parmi la population abangan de Java-Centre et Est et dans les centres urbains, il revendique en 1965 trois millions de membres et vingt millions pour ses organisations. Il semble avoir choisi de rechercher le pouvoir dans la légalité et, idéologiquement, il a fait des concessions: adoptant une politique de front national uni, il a fait passer les intérêts nationaux avant les intérêts de classe, accepté la démocratie dirigée et les Pantjasila – courant ainsi le risque que cette domestication brouille son image auprès de ses partisans. Très conscient de la possibilité d’un coup de force militaire, en butte à la répression de l’armée qui, faute d’obtenir son interdiction, tente d’empêcher son congrès ou interdit sa presse, il n’a pour se protéger que le soutien accordé par le président Sukarno. Ce dernier, pour efficace qu’il soit, ne suffit pourtant pas à le faire entrer au gouvernement, sauf par l’attribution, toute formelle, de deux ministères sans portefeuille en 1962.

Quant à Sukarno, il cherche à rester le maître du jeu. Ayant assez vite compris que le projet des groupes fonctionnels ne se réalise pas comme il le souhaitait, et qu’un trop grand affaiblissement des partis se fera au bénéfice de l’armée, il choisit de s’appuyer, à partir de 1961, sur une alliance des trois courants politiques dominants: nationaliste, religieux (musulman) et communiste, réalisée au nom de la révolution. C’est le Nasakom, écho de ses idées de 1927, mais vite ramené à une alliance P.N.I.-N.U.-P.K.I., qui, au-delà des professions de foi, reste bancale dans les faits. L’armée cherche en vain à investir la nouvelle structure qui confère à l’adversaire communiste une légitimité révolutionnaire. Simultanément, Sukarno, qui dénonce ouvertement les menées militaires, joue des rivalités entre l’armée, l’aviation et la marine pour affaiblir la position de Nasution, en portant à la tête de l’armée un général javanais, Yani, plus soumis à son influence (1962). L’armée, pourtant bien placée sur le plan institutionnel et économique, paraît alors en perte de vitesse.

Mais cet apparent développement des forces favorables au changement ne suffit pas à ébranler le poids des forces conservatrices. La réforme agraire votée en 1960, qui limite la taille des propriétés, prévoit une redistribution des terres et institue un partage des récoltes plus favorable aux ouvriers agricoles, se heurte à une résistance sourde mais farouche. Dans les entreprises, le projet de créer des conseils d’entreprise à participation ouvrière se heurte, lui aussi, à l’hostilité des nouveaux patrons, souvent militaires. L’effort pour mettre en œuvre l’économie dirigée, qui vise à abolir le libéralisme et le capitalisme et prévoit pour ce faire un accroissement décisif du rôle de l’État dans le domaine des investissements, de la production et de la distribution, se heurte aux plus grandes difficultés. Le plan de huit ans (1961) n’a qu’une valeur symbolique. L’intendance ne suit pas: le déficit budgétaire grandit, la production et les exportations diminuent, l’inflation gagne. Le développement du secteur d’État est mal servi par un personnel souvent peu compétent, et peut-être peu satisfait d’une politique qui semble faire le jeu des communistes. L’insuffisance des salaires, notamment dans une administration pléthorique, contribue au développement de la corruption.

Ces difficultés sont aggravées par une politique étrangère aventureuse qui, soutenant et alimentant la ligne «révolutionnaire», prend le pas sur tout le reste. La campagne pour obliger les Pays-Bas à quitter l’Irian connaît un nouvel essor dès que l’Indonésie a obtenu de l’U.R.S.S. (les États-Unis ayant fait défaut) une aide militaire importante (1961). Les communistes en sont le soutien le plus actif. L’armée n’est pas en reste lorsque cette campagne prend un tour militaire, avec débarquement de parachutistes. Les États-Unis, qui s’engagent alors dans le «bourbier» vietnamien, s’inquiètent de ce nouveau conflit et font pression sur les Pays-Bas. Un accord est obtenu en août 1962: soumis pendant un an au contrôle de l’O.N.U., le territoire revient à l’Indonésie en 1963, contre promesse de consulter les populations papoues en 1969.

7. «Confrontation» et virage à gauche

La fin de cette campagne, la levée de l’état d’urgence marquent un flottement momentané pour le régime. Les problèmes économiques vont-ils reprendre le pas sur le politique? Sukarno paraît envisager un retour au libéralisme. Mais cette tentative de stabilisation et de rapprochement avec le camp américain tourne court avec la reprise de la lutte contre le Nekolim (néo-colonialisme, colonialisme et impérialisme): l’Indonésie se lance dans la «confrontation» contre le projet de Grande Malaysia (englobant la Malaisie, Singapour, Brunei, Sarawak et Sabah), dénoncé comme une machination britannique, étouffant les aspirations des populations du nord de Kalimantan et mettant en danger la révolution indonésienne. Portée par les discours tonnants de Sukarno, marquée par de violentes manifestations contre les Britanniques, puis les Américains (leurs entreprises sont à leur tour saisies), la confrontation va-t-elle ouvrir un «second front» en Asie? Tandis que Sukarno envoie «au diable» l’aide américaine (1964), l’Indonésie se rapproche de plus en plus de la Chine de Mao, seule grande puissance à la soutenir, et forme l’«axe Djakarta-Hanoi-Pékin». Si cette nouvelle aventure ne réussit pas à souder l’unité nationale, le climat de crise renforce par contre le gauchissement du régime, et aiguise d’autant les conflits intérieurs. Le P.K.I., qui se place à la pointe du combat, en est le principal bénéficiaire. Dans la querelle sino-soviétique qui se développe alors, il opte pour Pékin. Il pousse ses revendications, multiplie les manifestations et dénonce sans relâche les «capitalistes bureaucrates» qui s’enrichissent aux dépens de la nation dans les entreprises d’État. La lutte s’étend aux campagnes: en 1963-1964, les paysans sans terre se mettent à appliquer par des «actions unilatérales» la réforme agraire paralysée. La lutte des classes fait ainsi irruption, non sans violence, dans les villages. La réaction est vive, les relations de type clientéliste, très importantes dans la société rurale, contribuent à souder les forces anticommunistes et à isoler le P.K.I. Les propriétaires terriens de Java sont le plus souvent P.N.I. et N.U. Le Nasakom, défendu avec feu par Sukarno qui fustige la «communistophobie», se fissure de plus en plus. Le P.K.I. ne relâche pas son offensive et réclame, dans le cadre de la confrontation, la création d’une «cinquième force» pour laquelle on armerait les ouvriers et les paysans, et l’introduction de commissaires politiques dans les forces armées.

Si l’aviation paraît touchée par la rhétorique révolutionnaire du président, l’armée est de plus en plus réticente. Même si le corps des officiers reste en majorité loyal à Sukarno, la nécessité et l’urgence de parer au danger communiste leur apparaît clairement. Déjà, dans la conduite de la confrontation – qui a pourtant l’avantage d’assurer aux forces armées un budget important et un rôle clé – des mesures ont été prises pour que les choses n’aillent pas trop loin. Jugeant peu souhaitable une guerre avec la Malaysia, les militaires ont pris secrètement contact avec Kuala Lumpur. Pourtant, peu d’officiers sont prêts à s’opposer ouvertement à Sukarno, le père de l’indépendance, qui incarne la légitimité de l’État et qui, se proclamant le porte-parole de la nation, propose à l’Indonésie des valeurs – justice sociale, identité nationale, indépendance, anti-impérialisme – qui, historiquement, ont un écho auprès des masses, même si tout cela reste très symbolique.

En 1965, le P.K.I. marque de nouveaux points en obtenant que certains adversaires idéologiques soient réduits au silence, tandis qu’en politique étrangère l’Indonésie quitte l’O.N.U. (janvier 1965), et que, le projet d’un second Bandung n’ayant pu se matérialiser, Djakarta prépare de concert avec Pékin une conférence des «Nouvelles Forces montantes» (par opposition aux «Vieilles Forces établies») envisagée comme une O.N.U. révolutionnaire. C’est alors que les observateurs occidentaux prédisent à la fois la banqueroute prochaine de l’Indonésie et son passage au communisme. Dans la lutte pour le pouvoir qui s’est engagée entre le P.K.I. et l’armée, la crise paraît imminente.

8. La prise du pouvoir par l’armée (1965-1967)

La crise éclate dans la nuit du 30 septembre 1965: six généraux du haut commandement de l’armée de terre, dont Ahmad Yani, sont arrêtés et tués: A. H. Nasution s’échappe de justesse. Auteur avoué du coup de force, le Mouvement du 30 septembre, animé par des «officiers progressistes», s’empare de quelques points clés de la capitale et affirme avoir sauvé le régime de Sukarno en déjouant le coup d’État projeté par un conseil des généraux soutenu par la C.I.A. La formation d’un Conseil de la révolution est annoncée. Quelques actions du même genre ont lieu à Java-Centre, mais le mouvement reste dans l’ensemble très limité. Si le P.K.I. publie son approbation à cette «action intérieure à l’armée», le président Sukarno, pour sa part, refuse de donner aux officiers dissidents la caution officielle qu’ils escomptaient. Simultanément, une réaction s’organise sous les ordres du général Suharto, chef de la réserve stratégique, qui, ayant assumé contre la volonté de Sukarno la direction de l’armée, reprend le contrôle de la capitale, puis de la base aérienne, quartier général des rebelles, en quelque vingt-quatre heures: le mouvement a échoué. S’il demeure obscur sur de nombreux points – qui des deux adversaires, le P.K.I. et l’armée, a manipulé l’autre? quel a été le rôle de Sukarno? – la suite est dramatiquement claire. Tandis que Sukarno essaie vainement de maintenir le statu quo, l’armée, sous la direction de Suharto, passe à l’action. Attribuant toute la responsabilité du coup aux communistes, elle déclenche à travers le pays une répression sauvage: près d’un million de gens sont massacrés, le P.K.I. est physiquement liquidé, ses dirigeants abattus, des milliers d’arrestations ont lieu. Dans les mois qui suivent, une lutte d’influence prudente mais sans merci se déroule entre Sukarno et le nouveau pouvoir militaire qui s’appuie sur les étudiants (musulmans et catholiques) et les éléments antisukarnistes (ex-Masjumi et P.S.I.), pour entretenir la tension dans les rues de Djakarta, tout en encourageant un mouvement antichinois. Sukarno, qui conserve de nombreux partisans, même dans les forces armées, refuse de déclencher une guerre civile et, le 11 mars 1966, se voit contraint de céder certains pouvoirs au général Suharto. Celui-ci en profite aussitôt pour interdire le P.K.I. et arrêter quinze ministres. Resté président en titre, Sukarno ne capitule pas et continue d’en appeler à la révolution et à l’histoire. Manœuvrant avec prudence et habileté pour le déconsidérer, Suharto le fait déposer par l’Assemblée du peuple, qu’il a épurée et remaniée (mars 1967), avant de se faire lui-même nommer président (mars 1968). Sukarno, enfermé chez lui, malade, meurt en juin 1970.

9. L’«ordre nouveau»

Le groupe d’officiers qui a pris le pouvoir autour de Suharto s’emploie à consolider progressivement sa position. L’armée, l’aviation et la marine sont épurées. Une réforme (1969) de l’organisation des forces armées renforce le pouvoir central du ministère de la Défense. L’armée de terre y joue un rôle prépondérant. Créé en octobre 1965, le redoutable Kopkamtib (Commandement pour la restauration de la sécurité et de l’ordre), aux pouvoirs quasi illimités, est l’instrument de la chasse aux sorcières, puis de la répression de toute opposition. Au sein de l’armée, les rivaux – dont Nasution – sont écartés peu à peu.

Le régime militaire abandonne rapidement la voie de la révolution: c’est le développement économique qui devient son objectif prioritaire et sa justification. Une équipe d’économistes formés aux États-Unis est chargée de définir une stratégie fondée, cette fois, sur l’aide et les investissements étrangers. L’Indonésie vire de bord: elle rentre à l’O.N.U., met fin à la confrontation et restitue à leurs propriétaires anglais et américains les biens saisis en 1964-1965. En politique intérieure, il s’agit de corriger les «déviations» attribuées à Sukarno et de mettre en place un système qui inspire confiance à l’Occident en garantissant l’ordre et la stabilité, maîtres mots du nouveau régime. Conservant le cadre constitutionnel de la démocratie dirigée, les généraux entendent bien ne pas rendre aux partis le rôle plus important que ceux-ci espéraient retrouver. Le pouvoir militaire n’hésite pas à intervenir si nécessaire dans les affaires d’un parti pour le doter d’une direction compréhensive. Affichant un grand respect de la Constitution et de la démocratie, l’ordre nouveau a promis des élections. Il fait adopter une législation qui lui garantit des assemblées dociles: 100 des 460 parlementaires sont nommés par le pouvoir ainsi que près de deux tiers de l’Assemblée du peuple, organe suprême de l’État. De toute façon, le processus électoral sera étroitement contrôlé. Pour les représenter aux élections générales de 1971 (les premières depuis 1955), les militaires choisissent de réactiver le Golkar, organisation de «groupes fonctionnels» créée en 1964 comme machine anticommuniste. Le Golkar adopte pour devise «Développement oui! Politique non!» et se déclare pour la «modernisation accélérée» et la «double fonction» des forces armées, théorie qui légitime le rôle politique assumé par les militaires. La campagne électorale se déroule dans un véritable climat de terreur pour les électeurs susceptibles de «mal» voter. Lourdement appuyé par l’appareil militaire et administratif, paré du prestige du pouvoir et doté d’importants moyens, le Golkar remporte une victoire sans surprise: 62,8 p. 100 des voix contre 7 p. 100 au P.N.I. et 19 p. 100 au N.U.

Bien que l’armée ait désormais un rôle prépondérant et investisse l’appareil d’État, le régime se défend d’être une dictature militaire, invoquant notamment la présence au gouvernement de ministres civils (des technocrates ne représentant aucune famille politique). Mais, renforcé par le succès du premier test électoral, Suharto poursuit la restructuration par le haut du système politique. En 1973, les neuf partis existants sont regroupés, malgré leurs réticences, en deux formations: le Parti unité développement (Partai Persatuan Pembangunan ou P.P.P.) où sont amalgamés les quatre partis musulmans, dont le Nahdatul Ulama (N.U.) qui, en 1971, a montré sa pugnacité politique et la solidité de son audience rurale à Java, et le Parti démocrate d’Indonésie (P.D.I.) associant au P.N.I., très affaibli, les quatre partis restants (dont le protestant et le catholique). Les organisations de masse sont, elles aussi, «simplifiées» afin de couper leurs liens avec les anciens grands partis. Sont créées une fédération ouvrière unique (prônant l’unité patrons-ouvriers) et des organisations similaires pour la jeunesse, les paysans, les pêcheurs. Les fonctionnaires, au nom de la «monoloyauté» qu’ils sont censés devoir au gouvernement, sont regroupés d’office dans une organisation spéciale (Korpri) et incorporés dans la «grande famille» du Golkar (où l’on retrouve les forces armées). Afin que les masses paysannes se consacrent au développement sans être la proie d’«idéologies mauvaises», les partis se voient interdire toute activité militante dans les villages (loi de 1975). La population rurale devient ainsi une «masse flottante» qui n’a le droit de s’intéresser à la politique que lors des brèves campagnes électorales. Par la suite, les partis seront encore affaiblis par des rivalités internes sur lesquelles joue le pouvoir.

Des élections générales ont lieu en 1977, 1982, 1987 et 1992. Elles restent «sous influence»: 20 p. 100 des députés sont nommés, les candidatures filtrées, les partis, sauf le Golkar, entravés et les électeurs soumis à une intimidation plus ou moins violente. En 1977, le Golkar obtient 62 p. 100 des voix, baisse infime mais significative (surtout dans la capitale) et inacceptable pour le pouvoir. Le P.P.P. devenu le pôle institutionnel de l’opposition remporte 29 p. 100 et le P.D.I. 9 p. 100 des voix. En 1982, la campagne est exacerbée par la frustration des mécontents. Le Golkar améliore son score avec 64 p. 100 des voix (et l’emporte enfin à Djarkarta), contre 28 p. 100 au P.P.P. et 8 p. 100 au P.D.I. En 1987, le Golkar obtient une victoire plus marquée: 73 p. 100 des suffrages (même Atjeh, traditionnel bastion musulman, bascule). Le P.P.P., affaibli par le départ du N.U. en 1984 et déconsidéré par son inféodation au pouvoir, tombe à 15 p. 100, tandis que le P.D.I., nouveau porteur des espoirs de la jeunesse citadine, remonte à 11 p. 100. En 1992, le score du Golkar se limite à 68 p. 100, celui du P.P.P. à 17 p. 100, tandis que le P.D.I. renforce sa progression avec 15 p. 100 des votes.

Le général Suharto, qui a renoncé à l’uniforme et qui a su au fil des années renforcer son pouvoir personnel dans un style très javanais, s’est fait nommer à la présidence de la République par l’Assemblée du peuple tous les cinq ans depuis 1968. Il est chaque fois le seul candidat. La vice-présidence, d’abord symboliquement attribuée à deux civils (le sultan de Jogyakarta puis Adam Malik, ancien ministre des Affaires étrangères), a été confiée depuis 1983 à des généraux. En effet, la base civile de soutien au régime s’est rétrécie.

La montée des oppositions

Dès 1970, des manifestations étudiantes dénoncent la corruption des dirigeants. Les abus commis lors des élections de 1971 puis le coûteux parc touristique Mini-Indonésie que fait construire Mme Suharto alimentent leur contestation. La crise violente survenue en janvier 1974, lors de la visite du Premier ministre japonais, marque la rupture entre les militaires et les intellectuels libéraux qui, en 1966, avaient été leurs alliés dans une dynamique anticommuniste. L’«Ordre nouveau» ne correspondant pas à leurs espoirs de démocratie, les étudiants mettent le régime en accusation, dénoncent la mauvaise utilisation de l’aide étrangère, le luxe insolent du pouvoir et la misère du peuple, le chômage, la ruine des petites entreprises, l’exploitation sans frein des richesses naturelles du pays (pétrole, bois) au bénéfice de l’étranger. Dans les tours qui poussent à Djakarta, les grands magasins fleurissent, mais qui peut acheter ce qu’ils offrent? Les manifestations tournent à l’émeute et sont brutalement réprimées par l’armée.

La contestation universitaire reprend en 1978, avant la réélection de Suharto. Des heurts violents se produisent. Un «livre blanc» des étudiants dénonce l’autoritarisme et la politique économique du régime et surtout la corruption croissante, révélée par une série de gros scandales. La famille Suharto est nommément mise en cause. De nouveau, la répression s’abat: arrestations, journaux interdits, campus occupés par la troupe. La contestation étudiante a reçu un coup d’arrêt, mais elle se cherche des racines sociales et d’autres voies d’action. Malgré la politique de dépolitisation du gouvernement, le feu couve: des manifestations épisodiques en témoignent (lors de la venue de François Mitterrand à Bandung en septembre 1986, ou à travers le soutien accordé par les étudiants aux revendications paysannes et ouvrières depuis 1989).

Déçus de l’évolution du régime militaire qui ne leur a pas accordé le rôle politique espéré, les milieux musulmans se sont eux aussi transformés en foyer d’opposition. Économiquement, la concurrence des capitaux étrangers (japonais) et celle de la riche minorité chinoise, alliée pour les affaires aux généraux, ont été fatales à la petite entreprise musulmane (textiles). Électoralement, les musulmans ont résisté au laminage du pouvoir, mais, minoritaires, il ne peuvent se faire écouter (sauf à descendre dans la rue comme en 1973, contre la loi sur le mariage, jugée trop laïque). Ils accusent le régime d’agir contre l’Islam, de s’appuyer sur la minorité chrétienne et d’être responsable d’un déclin moral lié à l’occidentalisation des mœurs.

Appartenant en majorité à la tradition javanaise abangan , les généraux ne veulent certes pas d’un État musulman et, depuis 1979, craignent le mauvais exemple de l’Iran. Aussi sont-ils bien décidés à contrôler et à affaiblir l’expression politique de l’Islam tout en voulant éviter de paraître antimusulmans. À travers le ministère des Religions, le gouvernement ne gère-t-il pas en partie l’enseignement islamique, les pèlerinages à La Mecque, ne construit-il pas des mosquées? Le Golkar n’a-t-il pas su attirer dans ses rangs des personnalités musulmanes? Simultanément, les députés du N.U. qui, dans les années 1970, avaient marqué leur désaccord avec la politique du régime ont été systématiquement écartés en 1982. Le P.P.P. a été obligé de renoncer à son symbole électoral, la Ka’abah pour une étoile, moins évocatrice. Enfin, une loi de 1985, s’inscrivant dans le projet du régime d’éliminer toute compétition idéologique, a fait obligation aux diverses organisations comme aux partis d’adopter pour «principe unique» les Pantjasila. Cela n’a pas été sans provoquer de graves tensions en 1984 et 1985, mais les organisations musulmanes ont dû céder l’une après l’autre (certaines au prix de graves crises internes). Le P.P.P., dominé depuis 1982 par une faction proche du pouvoir, affaibli par des luttes intestines, a dû accepter après son premier congrès (1984) le départ du N.U. Celui-ci, après une crise opposant le groupe des ulamas aux «politiques», a préféré renoncer à la politique pour retourner à sa vocation socio-religieuse première. Cette évolution a privé le P.P.P. de sa crédibilité et a découragé ses électeurs en 1987. Les voix du N.U. se sont reportées sur le Golkar. L’ancienne organisation institutionnelle de l’Islam est donc complètement bouleversée. Les musulmans ne se sentent plus représentés, ce qui n’est pas sans danger.

Car simultanément, depuis le début des années 1980, on assiste à un renouveau de l’Islam populaire, marqué notamment par une fréquentation plus assidue des mosquées ou par le port plus fréquent du foulard. Autour des mosquées se développent des réseaux d’associations, de groupes de réflexion qui touchent beaucoup de jeunes en quête de direction. L’exemple de l’Iran, c’est-à-dire de l’Islam capable de renverser un régime autoritaire, a ouvert des perspectives. On ne peut pour autant parler d’«islamisme» en Indonésie. Mais le pouvoir est vigilant, et, lorsque des musulmans sont descendus dans la rue à Tanjung Priok (port de Djakarta) en septembre 1984, l’armée a tiré dans la foule, faisant de nombreux morts et blessés. À la suite de cet affrontement, une vague d’attentats s’est déchaînée en 1985, prenant pour cible les banques du riche financier chinois associé de Suharto, des grands magasins, des hôtels de luxe et jusqu’au temple de Borobudur, haut lieu du tourisme, cibles symboliques d’une richesse réservée à quelques-uns. La répression a été immédiate: arrestations et lourdes peines de prison. Tout prêche jugé subversif, toute réunion religieuse illégale sont sanctionnés.

À plusieurs reprises, un terrorisme musulman a été dénoncé et souvent réprimé dans le sang: komando Djihad en 1977, détournement d’avion en 1981, complot à Sumatra-Sud en février 1989. Utilisé pour discréditer tout activisme musulman, cet extrémisme, où le pouvoir dénonce l’influence occulte du Darul Islam, a pu être aussi manipulé par les services secrets. En revanche, le régime encourage à coopérer avec lui les dirigeants musulmans modérés favorables à une modernisation de l’islam, tel Abdurrahman Wahid du N.U., et a créé une association des intellectuels musulmans (I.C.M.I.).

Les tensions sociales se manifestent sporadiquement malgré la répression, que ce soit à propos des conflits fonciers (la réforme agraire votée en 1960 est oubliée, et certains projets de développement s’accompagnent d’expulsions abusives et de manipulations diverses) ou du travail. Des grèves réprimées, mais toujours renaissantes, sont une réaction contre l’exploitation frappant une main-d’œuvre menacée par le chômage et privée de droits syndicaux. L’envoi en Arabie Saoudite, sous l’égide du ministère du Travail, d’employées de maison toujours plus nombreuses a donné lieu à des abus dénoncés dans la presse. Enfin, les mouvements antichinois, toujours prêts à renaître, sont un autre signe du mécontentement. Mais l’armée est prompte à ramener l’ordre et à dénoncer derrière tout cela le «danger latent» du communisme cherchant à déstabiliser le régime. Ce n’est qu’en 1979 que le régime, cédant aux pressions internationales, a fini par libérer quelque 100 000 prisonniers politiques retenus, le plus souvent sans jugement, depuis 1966. Ils restent très surveillés, et le plus célèbre d’entre eux, le romancier Pramudyo Ananta Toer, a vu toutes ses œuvres interdites. Depuis 1985, le pouvoir a exécuté plusieurs prisonniers politiques condamnés à mort vingt ans plus tôt. En 1983, une campagne d’assassinats «mystérieux» (en fait organisés par l’armée) et qui visait à lutter de manière expéditive contre une recrudescence du crime en cette période de récession, est venue alourdir un climat de peur.

Mais les militaires eux-mêmes sont divisés. Des groupes d’intérêts rivaux se sont constitués au sein du pouvoir et ont utilisé à l’occasion le mécontentement étudiant ou musulman. Jusqu’ici, Suharto a su habilement manœuvrer pour concilier, écarter ou effrayer rivaux et critiques, le haut état-major de l’armée restant son ultime soutien en cas de besoin. Mais il est significatif que l’opposition recrute désormais parmi les généraux inquiets de l’extension de la corruption, de la gabegie et de l’autoritarisme du régime. Ainsi, le mouvement de la «pétition des cinquante» (1980) a rassemblé des généraux à la retraite (A. H. Nasution, mais aussi Dharsono, un des fondateurs de l’ordre nouveau, «démissionné» par le pouvoir alors qu’il était secrétaire général de l’A.S.E.A.N. en 1978) et d’anciens dirigeants de l’ex-Masjumi. Même l’ancien vice-président de la République, Adam Malik, était devenu, avant sa mort, très critique envers le régime.

Là aussi, le pouvoir a réagi fermement en accusant un ancien ministre, proche des milieux musulmans, et le général Dharsono de comploter contre le régime. Ils ont été condamnés au début de 1986 à de lourdes peines de prison (19 et 10 ans), avertissement clair à ces anciens alliés devenus opposants et traités jusque-là avec des égards. Le fond du débat, c’est le rôle de l’armée dans la vie politique du pays. L’opposition réclame une libéralisation du système, ce qui supposerait que les forces armées osent prendre une certaine distance et permettent sinon aux aspirations populaires, tout au moins à certaines forces civiles de s’exprimer librement – ce qui est loin d’être le cas.

Le problème de la succession

Suharto aura soixante-dix-sept ans à la fin de son sixième mandat (1993-1998), ce qui pose le problème de sa succession, dont il joue d’ailleurs habilement, ayant plusieurs fois laissé entendre qu’il allait se retirer, pour mieux rester le candidat unique à la présidence. L’armée, dont la «double fonction» (militaire et politique) est désormais inscrite dans divers textes officiels, entend bien défendre ses positions et garder voix au chapitre sur ce que sera l’après-Suharto. Or, si elle conserve beaucoup de pouvoir, elle a tout de même été subtilement marginalisée par Suharto, qui a su renforcer son autorité personnelle au point d’agir en quasi-souverain. Ainsi l’«homme fort» de l’armée, le général Murdani, a-t-il perdu son dernier poste, le ministère de la Défense, dans le nouveau gouvernement (mars 1993) où l’on trouve plusieurs musulmans. La crise entre Suharto et l’armée a éclaté au grand jour en 1988, lors de la nomination à la vice-présidence du général Sudharmono, alors président du Golkar, qui n’avait pas la faveur des militaires. L’armée tolère mal que Suharto monopolise le pouvoir et laisse depuis les années 1980 ses enfants se tailler d’énormes empires financiers, en association avec de riches hommes d’affaires chinois: aucun secteur économique ne leur échappe, parfois au détriment de l’économie du pays. L’armée qui, là aussi, est marginalisée, a choisi de réagir en engageant une lutte d’influence, en plaçant ses hommes au Golkar et, plus important, en assurant, en 1993, la vice-présidence au général Try Sutrisno, issu de ses rangs. Elle s’est prononcée contre un coup de force par souci de la stabilité, considérée comme un acquis important.

Suharto sait, lui aussi, manœuvrer. Il place des fidèles aux postes militaires clés, et peut-être envisage-t-il pour lui succéder son beau-frère, le général Wismoyo Arismunandar, à qui il est en train de permettre une ascension rapide. Il s’est aussi rapproché des musulmans (deux lois favorables à l’islam – tribunaux et éducation religieuse – en 1989, pèlerinage à La Mecque, en 1991, création d’une banque musulmane, de l’I.C.M.I., interdiction du magazine Monitor ) pour élargir sa base de soutien face à l’armée, elle-même toujours méfiante envers l’islam. Il n’entend pas connaître le sort d’un Ferdinand Marcos. Aux «dissidents» qui réclament vainement une amélioration du système politique, un Parlement plus actif, la limitation du nombre des mandats présidentiels, plus de démocratie et d’État de droit – ce qui satisferait aussi les aspirations d’une classe moyenne en expansion –, il oppose la Constitution, la stabilité et l’unité nationale; il parle d’ouverture, mais en gardant le système bien verrouillé. Il a su se donner l’image d’un président reconnu internationalement et surtout de «père du développement» dont les effets se font sentir au sein de la société.

Économie: les limites du succès

Le régime militaire a lié sa réussite à celle du développement. Héritant d’une situation catastrophique, il a enregistré d’abord des succès marquants en jugulant une inflation, devenue galopante, et en lançant dès 1969 le Ier plan quinquennal. Les experts américains ont aussitôt parlé de «décollage». Mais tout cela n’a été possible que grâce à l’aide occidentale massivement accordée après l’éviction de Sukarno. Depuis 1967, elle est accordée annuellement par un consortium international où le Japon, les États-Unis et la Banque mondiale ont les premiers rôles. Les investissements étrangers ont été favorisés (loi de 1967).

Mais, au début du IIe plan (1974-1979), la crise de janvier 1974 montre qu’il ne suffit pas de penser le développement en termes de taux de croissance. Les inégalités sociales sont devenues criantes. Les généraux et leurs amis ont amassé des fortunes considérables, 20 p. 100 de la population monopolisent 53 p. 100 du P.N.B., mais 40 p. 100 vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Une meilleure répartition des revenus est alors annoncée dans les discours, des mesures sont prises pour aider les hommes d’affaires indonésiens (par opposition à ceux d’origine chinoise), mais les résultats demeurent peu convaincants.

Les booms pétroliers de 1974 et 1979 ont déversé sur le pays une manne inespérée, le pétrole assurant environ 70 p. 100 des recettes d’exportations. Le clan des «nationalistes» secoue alors le joug du F.M.I. et des prudents technocrates du plan pour pousser des projets ambitieux. Mais le quasi-krach de la Pertamina, la puissante et incontrôlée compagnie pétrolière d’État, qui laisse 10 milliards de dollars de dettes à éponger (1975), puis la récession et la baisse du prix du pétrole après 1982, et surtout en 1986, ont interrompu cette période faste. La politique d’austérité l’emporte alors: report des grands projets, deux dévaluations (1983, 1986), salaires des fonctionnaires gelés, réduction des subventions. Le service de la dette, alourdie par la montée du yen (monnaie dans laquelle elle est libellée pour 40 p. 100), absorbe en 1988 près de 40 p. 100 des recettes d’exportation. Le taux annuel de croissance plonge au-dessous des 5 p. 100 prévus par le IVe plan (1984-1989). Mais, contrairement à certains pays d’Amérique latine, l’Indonésie n’a pas eu à renégocier sa dette. Elle a su pratiquer une politique monétaire réaliste et moderniser son agriculture. L’autosuffisance en riz est atteinte en 1984, et ce succès – qui reste fragile – va durer. Autre succès: le taux d’accroissement de la population parvient à être réduit.

À partir de 1986, le gouvernement suit les conseils du F.M.I. et opte pour la libéralisation de l’économie et une réduction du rôle de l’État, traditionnellement dominant en l’absence d’une bourgeoisie influente. Plusieurs trains de mesures lancent la déréglementation (banque, commerce, investissements). Les exportations non pétrolières sont développées avec succès (contreplaqués, textiles, produits chimiques, alimentaires, chaussures, etc.); à partir de 1987, leurs recettes dépassent celles du pétrole. Les investissements étrangers affluent, presque 9 milliards de dollars en 1990 et en 1991, venant surtout des nouveaux pays industrialisés d’Asie qui délocalisent leurs industries pour profiter du bas prix de la main-d’œuvre.

Un reproche de poids à la nouvelle politique: elle a surtout favorisé les grands conglomérats dominés par des financiers d’origine chinoise. Après 1990, une surchauffe de l’économie a dû être corrigée par une politique de restriction monétaire visant à limiter les importations puis les emprunts à l’étranger qui ont porté la dette à 78 milliards de dollars (1992). L’effervescence excessive du secteur bancaire s’est déjà traduite par des scandales (Bank Duta en 1990) ou des faillites (Bank Summa en 1992) inquiétants pour la suite.

Malgré ses succès, l’économie reste confrontée à de sérieux problèmes structurels: la dépendance vis-à-vis du cours des matières premières et des marchés étrangers; l’accroissement démographique qui reste rapide (3 millions de bouches nouvelles par an); le surpeuplement de Java, que la transmigration vers les autres îles ne résout pas; le chômage total ou partiel, qui touche de 30 à 40 p. 100 de la population active, avec 2 millions de nouveaux demandeurs d’emploi chaque année; enfin, les inégalités sociales s’accentuent, qui suscitent le mécontentement.

Elle se heurte aussi à des problèmes conjoncturels. Suharto a montré qu’il savait opérer des corrections nécessaires (réforme du système bancaire, de l’impôt, de l’inspection des douanes); cependant, la suppression des monopoles qui coûtent cher à l’économie, mais touchent de près sa famille ou ses associés chinois, suscite plus de résistance. Or, sur la voie de la libéralisation, l’Indonésie a des concurrents, le Vietnam et la Chine en particulier. Si les technocrates «rationalistes» paraissent l’emporter, les «nationalistes» sont toujours là, qui veulent brûler les étapes en poussant des industries de pointe coûteuses (aéronautique).

En tout cas, l’Indonésie, désormais classée parmi les «nouveaux dragons» d’Asie, garde sa crédibilité aux yeux de l’Occident qui lui accorde une aide croissante.

Des ambitions diplomatiques limitées par des contradictions

La diplomatie indonésienne, dominée par des impératifs économiques, a d’abord adopté un profil bas et témoigne d’une dépendance de fait envers le Japon et les États-Unis. Elle prétend pourtant être restée «libre et active». L’amitié avec les États-Unis a connu des nuages. Djakarta s’inquiète en effet du «désengagement» américain en Asie du Sud-Est et regrette que Washington néglige de consulter ses «amis traditionnels» sur sa politique asiatique tout en manifestant sur le plan économique un égoïsme de grande puissance (protectionnisme, prix des matières premières). La visite de Reagan à Bali (mai 1986), assombrie par des maladresses réciproques, a montré le chemin parcouru depuis la visite enthousiaste de Nixon en 1969.

Avec le Japon, qui a supplanté les États-Unis comme premier partenaire commercial et financier, les relations restent marquées par les souvenirs de l’occupation. La crise de janvier 1974 a été une réaction contre la domination économique nippone. Et, malgré les assurances de T 拏ky 拏, le réarmement du Japon et l’accroissement de son rôle régional suscitent la méfiance de Djakarta, qui souhaiterait par ailleurs moins d’«égoïsme» commercial et plus de compréhension à l’égard de la dette.

Afin de diversifier son commerce extérieur, Djakarta a fait des ouvertures vers le Moyen-Orient, l’Europe de l’Ouest et de l’Est. Ses relations avec Pékin, gelées depuis 1967 en raison du soutien chinois aux communistes indonésiens, ont été normalisées en août 1990; Suharto s’y est rendu en novembre. Avec Moscou, les relations s’étaient beaucoup détendues après 1986, mais l’éclatement de l’U.R.S.S., qui a marqué la fin de la guerre froide, a surtout posé le problème d’un nouvel équilibre régional, dans la perspective d’un retrait américain. Pour l’Indonésie, le principal danger reste la Chine et ses ambitions territoriales (îles Spratleys). Si elle a pris l’initiative de négociations à ce sujet, tenant qu’il appartient à l’Asie du Sud-Est de régler ses problèmes, elle juge pourtant souhaitable le maintien d’une présence américaine pour préserver la stabilité de la région.

Sur le plan régional, l’Indonésie a fait de l’Association des Nations du Sud-Est asiatique (A.N.S.E.A.), créée en 1967, dont elle se voudrait bien le chef de file, la base de sa diplomatie. Après le sommet de Bali (1976) et l’ouverture du conflit cambodgien (1979), l’A.N.S.E.A. a participé activement à la recherche d’une solution, l’Indonésie privilégiant la négociation avec Hanoi, contrairement à la Thaïlande et à Singapour, prêts à s’aligner sur la Chine contre le Vietnam. Djakarta a ainsi joué, avec la France, un rôle important dans la conclusion de l’accord sur le Cambodge de 1991. L’A.N.S.E.A. n’est pas une alliance militaire, bien que ses membres soient liés par des accords de sécurité bilatéraux, et l’Indonésie a refusé qu’elle le devienne. Lors de son quatrième sommet, en 1992, elle a résolu de se constituer en zone de libre-échange d’ici à 2008 (l’Indonésie, qui avait toujours résisté, ayant davantage confiance dans ses industries) et d’accueillir dans ses rangs le Vietnam (et le Laos) gagné à l’économie de marché bien que restant communiste.

L’Indonésie cherche à retrouver un rôle international à ses mesures. Elle a enfin obtenu la présidence du Mouvement des pays non alignés pour 1992-1995, et, lors du sommet de ce mouvement à Djakarta (sept. 1992), elle en a fait la tribune (modérée) des revendications du Sud, dont Suharto s’est ensuite fait le messager à l’O.N.U. et dans diverses capitales. Supportant mal les exigences de l’Occident touchant les droits de l’homme, le régime indonésien a cru prouver son nationalisme en rejetant l’aide des Pays-Bas en mars 1992.

Cela était lié à l’indignation internationale suscitée par le massacre perpétré par l’armée en novembre 1991 à Timor oriental, ancienne colonie portugaise occupée (1975) puis annexée (1976) par l’Indonésie malgré une résolution de l’O.N.U. réclamant l’autodétermination et où la résistance du Fretilin (Front pour l’indépendance de Timor oriental) se poursuit malgré une répression des plus brutales qui ne se relâche pas, même si Suharto, en un geste sans précédent, a cru devoir sanctionner quelques-uns des officiers responsables du massacre de 1991.

En Irian, un mouvement d’indépendance papou (O.P.M.) est aussi durement réprimé par l’armée, ce qui a suscité un exode de réfugiés vers la Papouasie-Nouvelle-Guinée et des tensions récurrentes entre les deux pays malgré un traité d’amitié signé en 1986. La présence de «transmigrants» javanais, implantés le long de la frontière, aggrave le problème. Cela va contre l’ouverture lancée par Djakarta vers les petits pays du Pacifique.

En 1990, un mouvement séparatiste a resurgi à Atjeh (Sumatra Nord), bastion de l’islam. Là aussi, le régime a réagi par une impitoyable répression militaire qui a provoqué une fuite de boat people indonésiens vers la Malaisie.

Malgré ces éléments négatifs qui ternissent son image internationale, l’Indonésie de l’ordre nouveau a réussi en partie sa rentrée internationale, mais ce sont essentiellement la poursuite de son succès économique et le déroulement dans la stabilité de la succession du président Suharto qui seront prépondérants pour l’avenir.

10. Les mouvements indépendantistes

Les Papous en colère

L’Irian Jaya ou Nouvelle-Guinée occidentale est un vaste territoire de 422 000 kilomètres carrés (les quatre cinquièmes de la France), riche en ressources naturelles (bois, pétrole et minerais) et peuplé d’environ 1 million de Papous. Néerlandais jusqu’en 1962, un accord international l’a fait passer sous souveraineté indonésienne en mai 1963. Un référendum devait être tenu en 1969 afin que la population choisisse l’intégration à l’Indonésie ou l’indépendance. Entre-temps, l’armée avait pris le pouvoir à Jakarta. Ce que l’on a appelé l’Acte de libre choix suscita les plus grandes réserves de la part des observateurs onusiens. En raison des difficultés logistiques, un millier de représentants papous seulement furent rassemblés, qui se prononcèrent, sans surprise, pour le rattachement à l’Indonésie. Peu après, la rébellion commençait, les Papous estimant qu’ils n’étaient pas traités en égaux par les Indonésiens. Elle s’est poursuivie depuis de façon sporadique, menée par des clans peu unis entre eux (il en existe plusieurs centaines), armés d’arcs et de flèches, de haches de pierre et de lances, sans soutien extérieur, face à une armée indonésienne en majorité javanaise, qui n’hésite pas à employer les grands moyens.

La moitié orientale de l’île, la Papouasie - Nouvelle-Guinée est indépendante depuis 1975. Une frontière rectiligne, sur le 141e méridien, n’empêche pas la fraternité papoue de jouer. En 1984 notamment, la répression s’étant durcie, de nombreux réfugiés la franchirent, les avions indonésiens également, d’où des tensions récurrentes entre les deux pays, la Papouasie - Nouvelle-Guinée s’inquiétant des visées éventuelles du grand voisin, fort de ses 190 millions d’habitants. Un traité de «respect mutuel, d’amitié et de coopération» a finalement été signé en 1986.

Dans les années 1980, l’Irian Jaya est devenu un des objectifs de la «transmigration», processus qui vise à décongestionner Java, où se pressent 60 p. 100 de la population indonésienne, en envoyant des Javanais s’installer dans les îles moins peuplées. Dans l’Irian Jaya, environ 250 000 colons javanais ont été répartis, de préférence le long de la frontière pour empêcher les migrations. Rassemblés en villages, avec une maison et un lopin de terre par famille, ils doivent assurer leur propre subsistance au bout d’un an. Conditions difficiles, mais qui suscitent l’envie des populations locales. Aux Javanais sont venus s’ajouter des «transmigrés spontanés», Bugi, Makassar (Célèbes) ou Moluquois, encore plus nombreux (700 000?) qui monopolisent tout le petit commerce.

Les Papous, chassés de leurs hautes vallées, peu représentés dans l’administration, chômeurs, se sentent de plus en plus dépossédés de ce qui devrait leur revenir. D’autant plus qu’une des principales richesses de l’île, la plus grande mine de cuivre et d’or du monde, est exploitée intensivement depuis 1967 par une compagnie américaine, Freeport-McMoran, sans que les Papous en tirent de bénéfices directs, au contraire. Après avoir vidé le cuivre du mont Ersberg, Freeport s’est attaqué à la montagne voisine, le Grasberg. En 1995, elle en a tiré 442 000 tonnes de cuivre et 37 tonnes d’or, représentant un total de 1,76 milliard de dollars, dont 275 millions pour Jakarta. Les Papous accusent la compagnie de leur prendre leurs forêts (la concession de Freeport est de 2,6 millions d’hectares), qui assurent traditionnellement leur subsistance de cultivateurs itinérants et qu’ils considèrent comme sacrées. «Freeport creuse le crâne de notre mère», a ainsi déclaré un chef amungme. La pollution prend des proportions alarmantes, les déchets miniers ont tué les poissons des rivières et rendu leur eau non potable. De plus, Freeport, par son importance (17 000 employés), assume un rôle de gestion locale et coopère de fait avec l’armée indonésienne pour le maintien de l’ordre. Les soldats javanais, peu à l’aise dans les jungles irianaises, ont tendance à voir en tout Papou un ennemi et font régner un climat de peur, auquel Freeport est associé.

La composante religieuse aggrave la situation; en effet, les Indonésiens sont en majorité musulmans, alors que les Papous ont souvent été christianisés par les nombreuses missions actives sur le territoire. Dans le contexte local, l’Église apparaît comme un contre-pouvoir. C’est l’évêque Munninghoff qui a donné tout son poids à un rapport australien attribuant la mort de trente-sept Papous entre juin 1994 et février 1995 à l’armée indonésienne et aux forces de sécurité de Freeport. Le 31 mai 1995, onze Papous, dont un pasteur et quatre enfants, ont été abattus par l’armée alors qu’ils tenaient une réunion de prière dans un village. Pour la première fois, des sanctions ont été prises par l’armée: quatre soldats ont été arrêtés, jugés et condamnés à des peines de prison.

Entre-temps, Freeport connaissait des difficultés d’un autre ordre: Overseas Private Investment Corporation (O.P.I.C.) a annulé l’assurance de 100 millions de dollars qu’elle fournissait à la compagnie américaine contre les risques politiques et écologiques. Ni l’intervention de Henry Kissinger, conseiller de Freeport, ni celle du président Suharto auprès de son homologue américain ne sont parvenues à faire changer la décision. Freeport a entrepris des négociations avec les communautés amungme, kamoro et dani en mars 1996, s’engageant à mieux protéger l’environnement, à doubler le nombre d’emplois réservés aux Papous et à allouer 17 millions de dollars par an (soit 1 p. 100 des profits) à des projets communautaires. Mais le chef du Conseil amungme, Tom Beanal, a porté plainte à La Nouvelle-Orléans, où se trouve le siège de la société, en demandant 6 milliards de dollars de dommages et intérêts pour détournement de terres ancestrales.

Tandis que la prise d’otages se prolongeait – au grand dam du général Prabowo, commandant des parachutistes et gendre de Suharto, qui, chargé des opérations à partir d’avril, aurait souhaité utiliser la force mais avait dû se résigner à accepter la médiation de la Croix-Rouge –, de violentes émeutes ont éclaté le 10 mars 1996, à Tembagapura et à Timika, après qu’un Papou eut été renversé par un véhicule de Freeport et laissé pour mort dans le fossé. Pendant trois jours, les émeutiers ont pris pour cible les installations de Freeport, mais aussi celles des grandes compagnies forestières, comme Barito Pacific, présidée par un proche de la famille Suharto, qui exploitent là d’immenses concessions. Le 18 mars, la colère des Papous explosait de nouveau, à Jayapura cette fois, à l’occasion du rapatriement du corps de Thomas Wainggai, militant indépendantiste condamné à vingt ans de détention en 1988 pour avoir hissé le drapeau de la Papouasie indépendante et qui venait de mourir dans une prison javanaise. À la mi-avril, un incident sanglant montrait la tension régnant au sein de l’armée: apparemment saisi de folie, un lieutenant abattait une quinzaine de ses camarades (dont plusieurs officiers).

Après l’échec des négociations avec les rebelles, l’armée a libéré les otages le 15 mai, au cours d’une opération éclair. Assez curieusement, deux d’entre eux, des Indonésiens, ont été sauvagement abattus au dernier moment par un Papou qui n’appartenait peut-être pas aux forces rebelles, ce qui a permis de souligner une nouvelle fois la difficulté de traiter avec des «sauvages».

Jakarta continue à élaborer des projets pour le développement de l’Irian Jaya. Un grand barrage serait construit sur la rivière Mamberamo, ce qui permettrait de créer des zones industrielles et des rizières à l’ouest de Jayapura. L’O.P.I.C. a rétabli son assurance à Freeport: les Papous ne sont donc pas au bout de leurs peines. Mais comme le dit l’un d’entre eux, Benny Giay, anthropologue: «La terre n’a pas seulement une valeur économique, elle est tout pour nous, elle nous relie au passé. Un nouveau venu peut l’utiliser aussi longtemps qu’il voudra, nous la reprendrons un jour.» La guérilla continue dans l’Irian.

Le prix Nobel de la paix à Timor-Oriental

À Timor-Oriental, où le massacre de Santa Cruz, à Dili, en novembre 1991, avait fait, selon une enquête de l’O.N.U., entre 150 et 270 morts chez les jeunes indépendantistes timorais, le gouvernement avait dû aussi prendre des sanctions contre les militaires responsables, ce qui n’avait pas mis fin aux exécutions sommaires, ni aux manifestations indépendantistes d’ailleurs. Tandis que les négociations entreprises depuis 1982 entre l’Indonésie et le Portugal piétinaient, une trentaine de Timorais, partisans et adversaires de l’intégration à l’Indonésie, se sont réunis en mars 1996 à Stadt-Schlaining, en Autriche, sous l’égide de l’O.N.U. C’était la première rencontre de ce genre depuis l’annexion, en 1976, et le résultat en a été plutôt positif, avec une déclaration commune appelant au respect des droits de l’homme et à la préservation de l’identité culturelle des Timorais. La modération des indépendantistes a surpris Jakarta, mais la réunion n’a pas eu de suite pour autant.

En septembre et octobre 1995, de nouveaux affrontements entre jeunes activistes et militaires ont fait plusieurs morts et de nombreux blessés, déclenchant une vague d’arrestations et une recrudescence des demandes d’asile auprès des ambassades étrangères. Si la cause initiale en était, comme souvent, des remarques anticatholiques attribuées à un fonctionnaire indonésien musulman, sans doute ont aussi joué l’exaspération et l’hostilité des jeunes Timorais, nés pourtant après l’occupation indonésienne (1975), face à une forte immigration de musulmans, souvent d’origine bugi. Ces jeunes se sentant menacés dans leur identité culturelle par une assimilation forcée, souvent sans travail, supportent mal celle-ci. Les cas de violence se multiplient qui nourrissent le ressentiment des deux communautés. Le réel effort financier de Jakarta, qui a construit des routes, des écoles, des hôpitaux, ne réussit donc pas à convaincre les Timorais des bienfaits de l’intégration.

Lors du vingtième anniversaire de l’invasion indonésienne, le 7 décembre 1995, des manifestants pro-indépendantistes ont occupé les ambassades néerlandaise et russe à Jakarta, voulant répéter l’action de ceux qui avaient fait la «une» des journaux en novembre 1994 en occupant l’ambassade américaine lorsque le président Clinton était à Jakarta. Il est à noter que, pour la première fois, ils étaient accompagnés de manifestants indonésiens non timorais. En mars 1996, lors de la réunion Asie-Union européenne à Bangkok, le nouveau Premier ministre portugais, António Guterres, a proposé, mais en vain, au président Suharto une reprise partielle des relations diplomatiques contre la libération de Xanana Gusmao, chef militaire de la résistance, capturé en 1992 et condamné à vingt ans de prison.

Dans ce contexte, l’attribution du prix Nobel de la paix, en octobre 1996, à l’évêque de Dili, capitale de Timor-Oriental, Carlos Belo, et à Jose Ramos-Horta, dirigeant et représentant à l’étranger du Conseil national de la résistance maubere, «pour leurs efforts en faveur d’une solution juste et pacifique» au conflit timorais a fait l’effet d’un coup de tonnerre à Jakarta. Administrateur apostolique du diocèse depuis 1983, et d’abord considéré comme favorable à l’intégration, Mgr Belo a été amené à prendre courageusement la défense des Timorais contre l’oppression et à appeler au respect des droits de l’homme, au dialogue et à la paix. Il a vainement proposé un référendum qui permettrait aux Timorais de déterminer leur avenir. Ramos-Horta a suggéré de son côté un plan de paix en trois étapes, inspiré du modèle israélo-palestinien, et menant en cinq ou dix ans de la démilitarisation à l’autonomie, puis à une décision par référendum sous la supervision des Nations unies. À Jakarta, le gouvernement s’est résigné à l’attribution du prix Nobel de la paix à Mgr Belo, mais a condamné avec véhémence le fait de l’avoir décerné aussi à Ramos-Horta, en qui l’on ne veut voir qu’un «aventurier politique» sans morale.

Le président Suharto s’est rendu à Timor-Oriental le 15 octobre 1996, pour la première fois depuis sept ans, afin d’assister à l’inauguration d’une gigantesque statue du Christ-Roi (27 mètres de hauteur, la plus grande après celle de Rio), sur une colline surplombant Dili. La statue, qui a coûté 2 millions de dollars, ne suffira pas à gagner le cœur des catholiques timorais. La poignée de main du président indonésien au nouveau prix Nobel a été des plus brèves. Il est peu vraisemblable que le général Suharto, déjà préoccupé par sa réélection en 1998, assouplisse sa position sur Timor-Oriental. L’Indonésie a misé jusqu’ici sur le temps pour tenter de faire oublier le problème à l’opinion internationale, mais sans y réussir.

En juin et en juillet, d’ailleurs, le régime avait montré sa fermeté vis-à-vis de toute opposition en ôtant toute chance à Megawati, fille de l’ancien président Sukarno, de se porter candidate à la présidence de la République contre Suharto. Elle avait été élue présidente du Parti démocrate indonésien, (P.D.I., un des trois partis autorisés par le régime) à la fin de 1993. Le pouvoir a encouragé une faction adverse à réunir, en juin 1996, un congrès extraordinaire qui a donné au P.D.I. un nouveau président, aussitôt reconnu par le gouvernement. Cette éviction a déclenché de très graves émeutes en juillet à Jakarta. Le pouvoir y a dénoncé un complot communiste, et de nombreuses arrestations ont eu lieu dans les rangs des partisans de Megawati, devenue le symbole de la lutte pour la démocratie et le point de ralliement d’une opposition très dispersée. Elle a dénoncé haut et clair l’illégalité de la manœuvre qui a permis de l’évincer et cherché justice contre les instances gouvernementales auprès des tribunaux, qui se sont déclarés incompétents. Malgré des accusations de népotisme (ses enfants sont milliardaires), de favoritisme et de corruption, malgré la dénonciation d’inégalités sociales croissantes, le président Suharto, qui aura soixante-dix-sept ans en 1998, briguera sans doute un septième mandat présidentiel. Il sera, comme d’habitude, le seul candidat. Cette incapacité à assainir le régime et à préparer la succession inquiète les investisseurs.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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